La nicotine pourrait-elle protéger contre le Covid-19 ? Depuis ce mercredi 22 avril, la théorie est avancée par de nombreux spécialistes. La prudence est cependant de rigueur : à ce stade, aucune étude clinique ne prouve les faits.
Jamais la cigarette n’avait eu une telle publicité. Tout a commencé par un communiqué de presse, publié conjointement par l’Académie des Sciences, l’assistance publique des hôpitaux de Paris, l’université la Sorbonne et l’institut Pasteur. Ils affirment que : « Les fumeurs actifs sont protégés contre l’infection par SARS-Cov-2. Les raisons de cette protection ne sont pas établies mais la nicotine pourrait être un candidat. » Selon les premières pistes, le récepteur cellulaire où est censé se fixer le coronavirus est déjà ‘occupé’ chez les fumeurs par la nicotine, ce qui expliquerait le faible taux de contamination chez ces derniers. Ce récepteur se nomme « récepteur nicotinique de l’acétylcholine » et pourrait expliquer certains symptômes récurrents tels que la perte d’odorat. Une étude va être menée par l’hôpital de la Pitié Salpêtrière et par Jean-Pierre Changeux neurobiologiste à l’Académie des Sciences.
Pour Gérard Audureau, le président de l’association Droit des Non-Fumeurs et vice-président de l’Alliance contre le tabac, ces résultats sont à prendre avec des pincettes et il regrette la promotion faite dans les médias : « Cette mise en avant de la cigarette risque de pousser certains Français à consommer du tabac voire à se procurer des patchs de nicotine. » Il nuance cependant en affirmant que les médias ont joué leur rôle en transmettant l’information même s’ils auraient dû « appuyer sur le fait que si c’est vérifié et que la nicotine protège réellement, un traitement ou un vaccin sera développé mais qu’il ne faut pas chercher à s’en administrer par soi-même. » Pour lui : « On ne sait pas encore si c’est la nicotine elle-même qui protège ou si c’est la fumée du tabac. » Car les fumeurs développent moins d’anticorps que le reste de la population et seraient donc moins amenés à avoir une réponse immunitaire excessive. Chez certains patients, la réponse immunitaire excessive provoque des inflammations et des dommages aux organes, et peut être fatale.
« Nous n’avons pas de recul, c’est encore trop tôt »
Il explique également que l’arrêt du tabac se fait généralement aux alentours de 60/70 ans, et que l’âge moyen de décès du Covid-19 est de 84 ans : « Ce sont donc logiquement majoritairement des non-fumeurs qui décèdent de cette maladie. »
Il met en garde contre un des chercheurs responsables de cette étude, le Professeur Changeux. Il rappelle que ce professeur avait été payé il y a plusieurs années par les lobbys pro-tabac pour effectuer des études sur l’impact de la nicotine. Le journal Le Monde, qui révélait ces informations en 2012, affirmait « l’industrie cigarettière américaine […] a financé ou manipulé des scientifiques français de premier plan pour donner une image positive de la nicotine. »
Pour le docteur Marie Christine Delsaux, tabacologue et diplômée de l’Institut Pasteur en immunologie : « La nicotine n’est pas dangereuse pour le Covid. Le vrai danger, ce sont les fumées de la cigarette. »
Elle a un avis divergent de celui de Mr. Audureau : « Je ne pense pas que cette étude va pousser les non-fumeurs à se procurer patchs ou cigarette. » mais pour la tabacologue, le lien entre nicotine et Covid-19 n’est pas compris par les Français : « Les gens n’ont rien compris, j’ai même des gens qui me disent ‘fumer c’est bien pour le covid’, c’est réellement n’importe quoi. » Il faut le rappeler, fumer nuit gravement à la santé et depuis le début de l’épidémie, médias et spécialistes n’ont pas cessé de rappeler que les fumeurs seraient plus fortement atteints. Au vu des dernières données les fumeurs contracteraient moins facilement le Covid-19, mais une fois contaminé, un fumeur risque d’avoir bien plus de complications qu’un non-fumeur, car son système de défense des bronches est déjà altéré par le tabac. Il ne faut donc évidemment pas se (re)mettre à fumer.
Le Docteur Delsaux ajoute : « Je ne crois pas que ça puisse réellement protéger contre le covid, rien n’a été affirmé sur le plan scientifique, et aucune étude clinique n’a été faite. Il ne faut donc pas tirer de conclusions hâtives. » Quant aux études déjà sorties dans d’autres pays : « Pour l’instant nous n’avons pas le recul nécessaire, il est encore trop tôt et il faut selon moi, éviter de propager ce genre d’informations. Il faut attendre d’avoir des résultats fiables. »