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Au cœur des prisons

Un prisonnier témoigne de son quotidien dans une des nombreuses prisons françaises. Les conditions de détention déjà connues : promiscuité, manque d’hygiène et désinformation sont d’autant plus accablantes, depuis le début de l’épidémie.

Marc* se débrouille tout seul pour se protéger a minima contre une contamination au Covid-19. Prisonnier dans l’un des 188 établissements pénitentiaires français, il confie son impression « de ne pas être protégé et de passer au second plan. » Marc est incarcéré depuis un peu plus de 2 ans, il a accepté de témoigner par téléphone de la situation actuelle. Il dénonce un manque criant de garanties sanitaires : « Avec mon codétenu, on lave notre cellule à la javel, au vinaigre et au détergeant. » Ce sentiment d’être oublié exacerbe les tensions déjà vives avant le confinement.

A l’annonce de l’interdiction totale des parloirs le 18 mars dernier, Marc l’assure : « Ça a chauffé dans la prison », à tel point qu’un arrangement à l’amiable a été proposé aux prisonniers les plus influents : « On nous a demandé (ndlr : aux anciens) de calmer les gens, de leur dire de ne pas faire n’importe quoi. En échange, une douche quotidienne nous a été promise (ndlr : habituellement 3 douches par semaine), et des promenades isolées le matin ou le soir. » Malheureusement, selon ses dires, ces promesses n’ont « jamais été tenues. »

Pour les détenus, les parloirs sont une soupape essentielle pour supporter la vie carcérale, et il devient donc difficile de garder le lien avec le monde extérieur : « Pour moi par exemple ça va, vous savez comment ça se passe, j’ai WhatsApp donc ça va… mais imaginez ceux qui n’ont pas de téléphone, ils deviennent fous. » La garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a assuré que « l’administration pénitentiaire étudie les moyens de préserver les liens entre les personnes détenues et leurs proches. » Il est probable que l’accès aux cabines téléphoniques soit prochainement facilité.

La vie en prison est suspendue, plus aucune activité n’est autorisée. Les détenus ne travaillent plus, n’ont plus accès à des ateliers ni à la bibliothèque, puisque les allées-venues d’intervenants extérieurs ont également été interdites.

Un équipement très aléatoire 

Malgré l’annonce du ministère de la Justice d’un stock de 100 000 masques de protection destinés au personnel des prisons. Mais selon Marc, la réalité est toute autre : « Il y a quelques semaines, ils n’avaient rien, aucune protection. Depuis quelques jours, il y en a mais c’est aléatoire, ça dépend des surveillants. Certains se baladent sans masque, sans gants, d’autres ont un masque mais pas de gants et vice versa. » Pour ce qui est des fouilles : « C’est comme avant, rien n’a changé, la dernière fois c’est même moi qui ai dit au surveillant de reculer d’un mètre car il était trop près. » Un sentiment d’angoisse motivé par le fait que « les surveillants peuvent être contaminés, ils rentrent et sortent sans être testés. »

Marc fait part de l’inquiétude régnante au sein des cellules car « il n’y a pas de gel hydroalcoolique, rien. » Il questionne : « Comment voulez-vous respecter un mètre de sécurité dans une pièce de 9m2 ? » Il décrit ensuite la dure réalité de la surpopulation carcérale : « Dans les triplettes (ndlr : cellule pour trois personnes) où il y a trois lits superposés, les détenus sont quatre. Dans les doubles ils sont trois, et dans les individuelles ils sont deux, voire parfois trois. A chaque fois, c’est le même procédé : les surveillants mettent un matelas par terre. » Un dysfonctionnement majeur qui ne semble pas respecter le principe de dignité humain : « Nous sommes traités comme des animaux. »

Pourtant, Stéphane Bredin, directeur de l’Administration pénitentiaire, assurait dans une lettre adressée à son personnel, que « les promenades [devaient être] assurées par petits groupes, en respectant les mesures de distanciation sociale. » Marc avoue que la peur a gagné les esprits des détenus : « Tout le monde refuse les promenades, imaginez-vous ? Nous sommes 80 détenus dehors si on accepte. Nous ne sommes pas fous, personne n’a envie d’attraper ce virus. » Ce manque de mesures adaptées et l’absence de tests provoquent une certaine méfiance : « La peur s’installe, les gens se font des films. »

« Les arrivants sont soi-disant placés en quarantaine, mais l’autre jour, lorsqu’un nouveau détenu est arrivé, tout un étage a disparu deux jours plus tard, et on ne sait pas où ils sont. » La communication est bien évidemment compliquée, mais elle paraît aujourd’hui inexistante : « On nous dit seulement qu’il y a des suspicions de cas. » Mais, dans un tel milieu, tout finit par se savoir via des moyens qui leurs sont propres : « Vous savez, c’est comme partout, il y a des bons et des mauvais. Certains surveillants sont sympas et nous confirment qu’il y a des cas, beaucoup de personnes contaminées. Ils nous disent que c’est mieux pour nous de rester dans nos cellules. »

Des propos qui témoignent de l’incapacité du système carcéral à rassurer les détenus, rendant la situation extrêmement explosive : « Ça va péter, personnellement, je donne 10 jours, 15 jours maximum avant que ça n’arrive », réaffirmant que « les gens sont à bout, ont l’impression qu’on leur cache des choses. »

La semaine dernière, Stéphane Bredin, le directeur de l’Administration pénitentiaire annonçait que le nombre de prisonniers sur le territoire français avait diminué d’environ 10 000. Au début de l’année, le taux de population carcérale atteignait les 119%, il serait aujourd’hui en passe de tomber sous les 100%, selon lui. Cette réduction de la population carcérale est jugée comme une mesure insuffisante par bon nombre d’experts face à la situation critique au sein des prisons françaises.

Des problèmes antérieurs au Covid

La situation du système carcéral n’est pas nouvelle, et encore moins inconnue. Les syndicats dénoncent depuis des mois voire des années des conditions de travail de plus en plus difficiles. Ils pointent le « manque d’effectifs dans les services techniques et de maintenance, qui conduit à une dégradation inévitable des installations. »

Cette situation, déplorable en temps ordinaire avec des établissements aussi vétustes que surpeuplés, a amené les ONG à placer les prisons françaises parmi les pires d’Europe. Une dénonciation qui ne date pas d’hier étant donné qu’en 2013 déjà, le Conseil de l’Europe épinglait la France pour sa surpopulation carcérale. Un problème presque structurel qui a de nouveau contraint la Cour européenne des droits de l’Homme à condamner l’Etat français en janvier dernier.

Désormais face à l’urgence, il est difficile voire impossible de maîtriser une telle situation, tant le manque de moyens est conséquent. Les gestes barrières sont impossibles à faire respecter compte tenue de la promiscuité qui règne au sein de ces établissements. Ce décalage de la classe politique avec la réalité conduit les services publics à des manquements majeurs. Au début de l’année, la garde des Sceaux, Nicole Belloubet assumait alors « des dysfonctionnements » mais datant « de plusieurs décennies », se dédouanant ainsi de toute mauvaise gestion. Quelques semaines plus tard, la crise sanitaire plonge le système carcéral dans une situation particulièrement explosive.

La ministre de la Justice est censée « veiller à la cohérence de l’application de la politique menée sur le territoire de la République, en matières juridique et carcérale. » Or, beaucoup d’incohérences sont révélées dans cette gestion de la crise du Covid-19. Malgré l’annonce d’un certain nombre de mesures pour limiter le risque de contagion en détention, telles que les libérations anticipées des détenus approchant de la fin de leur peine et des personnes en détention provisoire, ces mesures apparaissent loin d’être suffisantes pour les syndicats pénitentiaires.

*Le prénom a été modifié

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