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Face au virus, les Libanais s’auto-responsabilisent

Dans un pays au système de santé limité, les Libanais se sont pris en main sans attendre les directives des autorités. Une situation qui détonne au Proche-Orient.

« Les Libanais savent que l’Etat est complètement défaillant », affirme Dorothée Schmid, spécialiste des questions méditerranéennes. Contre toute attente, le Liban gère, pour l’instant, très bien la pandémie due au nouveau coronavirus. Avec 677 cas confirmés au Covid-19 et 21 décès (mercredi 22 avril à 10 heures, source : Université Johns Hopkins), le pays du Cèdre affiche une organisation sanitaire remarquable face au virus.

Une absence de crise sanitaire qui s’explique aussi par le tempérament local. Les crises, les Libanais en ont connu beaucoup. Qu’elles soient militaires, humanitaires ou politiques, elles ont façonné le caractère des 6,8 millions d’habitants de ce pays multiconfessionnel frontalier avec la Syrie. Sunnites, Chiites, Maronites, tous se sont entendus pour anticiper les directives du gouvernement libanais, face à la menace du nouveau coronavirus.

« Un système de santé totalement à trous »

« Au Liban, l’épidémie est assez limitée, contrôlée. Or, c’est totalement inexplicable puisque c’est un pays très dense, il y a une grande quantité de maladies respiratoires (le virus s’attaque aux poumons) puisqu’il y a beaucoup de pollution », rapporte Mme Schmid. « Il y a un grand nombre de réfugiés syriens, des inégalités importantes et un système de santé totalement à trous, qui est géré de façon communautaire. »

De nombreux critères, en principe, optimaux pour une propagation forte du Covid-19 dans le pays, mais les Libanais eux-mêmes se sont « auto-confinés et pris en main très tôt ». Sans attendre donc les consignes officielles du gouvernement composé du Hezbollah, du parti Amal et du Courant patriotique libre. Il n’y a jamais eu de pénurie de masques puisque les autorités en ont importé beaucoup et continuent d’en acheter.

Une « hygiénisation » par le privé. « Les gens se sont autoprotégés ». Une version confirmée par Thierry Abi Saab, hôtelier-restaurateur à Byblos, ville portuaire située à 40 kilomètres au nord de Beyrouth. Ce franco-libanais dit recevoir l’étonnement de sa famille en France quand il leur explique que les lycées, écoles, universités, hôtels, tous les commerces non essentiels sont fermés depuis « déjà presque deux mois. On avait bien devancé les choses à l’avance. Pour un pays qui est un peu désordonné, en pleine crise économique et où en politique c’est l’anarchie totale, parce que les Libanais détestent obéir, là bravo. »

« Il y a des masques partout »

M. Abi Saab affirme lui aussi que les Libanais disposent de matériel médical, essentiels pour la lutte contre le nouveau coronavirus. Un matériel dont ils ne sont jamais à court. « Au Liban, il y a des masques, des gants, et des gels hydroalcooliques partout. Jamais on n’en manque en magasin. Les rayons sont réapprovisionnés. Moi j’ai à peu près cinquante masques », précise cet hôtelier qui tient un établissement au bord de la mer Méditerranée.

Il rapporte notamment qu’il est interdit d’entrer dans les supermarchés ou les pharmacies sans gants et sans masques. Dans certaines enseignes, il y a même un responsable en combinaison chargé de désinfecter. Il assure toutefois qu’il y a bien des contrôles de gendarmerie sur les routes malgré la docilité actuelle des Libanais. « Il y a des amendes, mais ce n’est pas aussi fort qu’en France. Il y a une autodiscipline qui est assez impressionnante. »

Pour lui, les Libanais sont conscients d’avoir un système médical « limité », des infrastructures « délicates » dans la mesure où il n’y a pas de sécurité sociale comme en France ou en Allemagne. Ils souhaitent donc éviter de tomber malades, d’autant qu’il y a très peu de structures publiques mais « globalement, beaucoup d’hôpitaux privés. Résultat, ils ont pris les devants en se disant ‘il vaut mieux bien se protéger plutôt que d’être contaminés’. »

Si les EHPAD (Etablissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes) sont très nombreux en France, ils sont quasiment inexistants au Liban. Un aspect propre à de nombreuses cultures orientales au Moyen et Proche-Orient où les parents et grands-parents sont gardés à la maison. Or, dans de nombreux pays occidentaux, le nouveau coronavirus fait des ravages au sein des EHPAD, où les personnes âgées succombent plus souvent à l’agent pathogène. Un problème que le Liban ne rencontre pas.

M. Abi Saab, comme beaucoup de Libanais, craint l’après-coronavirus, dans un pays déjà en récession économique. « J’ai eu trente ou quarante mille dollars d’annulation. Economiquement on était déjà asphyxié. On ne sait pas comment ça va tourner. Les gens ont faim. »

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