
La France, comme tous les pays mondialisés qui affrontent la crise sanitaire, entre en récession. Les considérations économiques et géopolitiques s’affrontent, alors qu’au milieu, l’exigence sanitaire est de rigueur.
L’économie mondiale n’a pas connu une telle récession depuis le krach boursier de 1929. La crise en cours ne s’apparente pas à celle des marchés financiers comme pouvait l’être la crise des subprimes en 2008. La financiarisation des marchés n’est pas directement responsable de la récession à venir, c’est l’arrêt généralisé de l’activité économique qui entraîne une chute vertigineuse du PIB français. Les prévisions du gouvernement pour l’année 2020 étant d’au minimum -8%. En ce sens, la crise n’est pas structurelle, mais conjoncturelle.
Au-delà des chiffres qui abondent pour donner un sens à cette crise, c’est l’aspect humain qu’il faut regarder. Les plus touchés par la crise sont ceux dont l’activité s’est arrêtée, les professions libérales, les petites entreprises de tous secteurs en particulier ceux du bâtiment et du tourisme. Après la crise de 2008, les États ont sauvé en priorité les plus grosses entreprises, « too big to fail », qui représentaient un danger systémique pour l’ensemble de l’économie. Les PME et travailleurs indépendants sont aujourd’hui en danger.
Alors que les Pays-Bas posaient leur droit de veto sur un plan de relance européen, le danger est de reproduire les mêmes erreurs qu’en 1929 : « Si beaucoup d’entreprises font faillite nous tomberons alors dans une spirale déflationniste où la monnaie va perdre de sa valeur, comme en 1929 », explique Frédéric Bizard, économiste et président de l’Institut de Santé. La politique d’austérité, grande favorite de l’Allemagne et des Pays-Bas, met en danger l’euro en tant que monnaie puisque « si les prix continuent de baisser, les gens arrêteront simplement d’acheter, c’est une spirale dépressive qui conduit à un drame économique ».
Pour lutter contre le risque réel de voir cette récession se transformer en dépression, il faut maximiser les chances de sauvegarder l’offre. Les entreprises doivent redémarrer leur activité en gardant leurs ressources humaines et matérielles pour retrouver l’équilibre entre l’offre et la demande. Sinon, les épargnants, loin de relancer la consommation, vont thésauriser auprès des banques.

Des lectures divergentes de la crise
Aucune solution miracle ne fera l’unanimité auprès des politiciens et économistes, tous prêchant pour leur paroisse : libérale ou altermondialiste. Les échanges entre les deux, loin d’être cordiaux, sont souvent dans la caricature : « Nous avons pu penser que les syndicats extrémistes auraient développé les anticorps leur permettant, au moins de façon temporaire, d’annihiler le virus marxo-trotskiste qui les a infectés dès leur naissance », regrette Philippe Alezard, président de FiPal.fr, face à la volonté des syndicats de continuer la lutte, qui leur appartient, pour le droit des travailleurs en temps de crise.
L’incompréhension naît de deux logiciels de pensées radicalement différents. D’un côté, les libéraux, à la suite de Friedrich Hayek, défendront que le mot socialisme est un mot « fouine » comme disait ce dernier, c’est-à-dire un mot qui vide de sens tout ce à quoi il est rattaché. La justice sociale, par exemple, serait une notion illogique, puisqu’il n’est pas juste de redistribuer les fruits de ceux qui travaillent dur à la récolte. Ils diront que dans une méritocratie, nous sommes tous à égalité, les inégalités de départ étant comblées par le système. L’accroissement des inégalités, notifiée par Rachida Dati, ne sera, à n’en pas douter, qu’un dommage collatéral.
Pour les socialistes qui sont encore de gauche, cette logique est fallacieuse pour une raison simple déjà théorisée par Gracchus Babeuf en 1795 : « Tout ce qu’un membre du corps social a au-dessus de la suffisance de ses besoins de toute espèce et de tous les jours, est le résultat d’un vol fait aux autres coassociés. » Autrement dit, les richesses étant limitées, si quelqu’un possède plus, alors quelque part, quelqu’un possède moins. Arrive ainsi la situation où 2153 personnes possèdent plus de richesses que 60% de la population mondiale, laissant mourir de faim des continents entiers.
La volonté d’égaliser les rapports de richesses entre individus n’a certainement rien à voir avec un virus marxo-trotskiste, c’est plutôt un courant de pensée qui plonge ses racines mêmes dans la Révolution française. Les lectures contradictoires de cette crise engagent les libéraux à renforcer l’économie de marché au détriment d’une politique sanitaire publique. Les socialistes altermondialistes s’engagent pour leur part, à faire de la crise sanitaire le symbole d’un capitalisme dérégulé.
Quelles solutions possibles pour sortir par le haut de la crise ?
Frédéric Bizard recommande la relocalisation des industries françaises sur le territoire, « mais il ne faut pas que cela se traduise par un excès de protectionnisme et de nationalisme comme cela a pu être le cas en Italie, au Brésil, aux États-Unis et aux Philippines par exemple. » Si la crise sanitaire est pour lui un « accélérateur de l’histoire », il faut encore que cette poussée nous dirige dans la bonne direction.
D’abord, le protectionnisme est à craindre en cas de relocalisation. Si l’industrie française est rapatriée, alors nous importerons moins de marchandises aux autres Etats. Or, si nos importations diminuent, nos partenaires commerciaux risquent de boycotter nos produits et nos exportations vont baisser en prix et en quantité. La balance du commerce extérieure sera donc déstabilisée. Ensuite, le repli d’un État sur lui-même ne peut qu’entraîner des dérives nationalistes comme l’Europe a pu en connaître après le krach de 1929. L’espace Schengen a justement été créé dans le but de prévenir ces dérives grâce au commerce international. Après une crise sanitaire devenue une crise économique, l’Europe pourrait également faire face à une crise politique avec la montée des partis nationalistes aux prochaines échéances électorales.
La sortie de crise serait un enjeu périlleux, au-delà de la gestion de la crise elle-même. « Nous avons fait un plan de sortie de crise avec l’Institut de Santé et il apparaît que nous payons cher notre incapacité à produire sur notre territoire des masques, des tests et peut-être demain des vaccins. Les chaînes de productions mondialisées entrent en collision avec l’environnement mais aussi avec la souveraineté sanitaire. » Le système de santé européen est trop dépendant du reste du monde, l’Europe ne devrait pas commander ses masques à la Chine mais devrait être en capacité de les produire sur son territoire et de les distribuer aux Etats membres de l’Union.
Dans cette optique : « il faut intégrer la transition écologique dans le plan de sortie, c’est-à-dire dans les nouveaux modes de production, dans la considération de la population par rapport à l’environnement, et donc sa santé, parce qu’on a tendance à l’oublier mais l’environnement c’est la santé. », explique Frédéric Bizard. L’économiste souhaite donc la mise en place d’une « démocratie sanitaire », avec une éducation sanitaire forte pour responsabiliser les individus dans leur gestion de la santé et de l’environnement.
Une volonté politique qui entre en écho avec les voeux du corps médical lui-même : « Beaucoup de patients ne sont pas suivis par un médecin, faute d’argent. Ils pensent être sans pathologies mais c’est juste qu’ils n’ont pas eu de diagnostic. Il faut mettre en avant toutes ces personnes qui ne sont pas médicalement suivies. On se rend compte maintenant de la misère médicale de la France », affirme Guillaume*, infirmier en service de réanimation.
Après l’épidémie, que reste-t-il des rapports entre politique et économie ?

La politique est subordonnée à l’économie, c’est la conséquence de la dérégulation des marchés financiers. Ces marchés sont soumis aux aléas du hasard et de la moindre variation. Tout changement, aussi minime soit-il, entraîne une conséquence sur la spéculation boursière. L’État doit retrouver le moyen de contrôler les spéculations, de réguler un marché fragilisé par une crise qui, au départ, ne le concerne pas.
Après le krach de 1929, Roosevelt avait proposé aux États-Unis le « New Deal » permettant de construire les fondations de la sécurité sociale, mais aussi la nationalisation de certaines entreprises vitales à la production américaine. Aujourd’hui, le « Green New Deal », qui était porté par Bernie Sanders avant son retrait des élections présidentielles américaines, offre une piste de réflexion pour la société de demain. L’économie ne doit pas être relancée en dehors de tout cadre écologique, en ce sens, la création en Chine de nouvelles centrales à charbon inquiète.
Pour sa part, la décroissance représente un modèle économique alternatif qui pourrait supprimer définitivement les risques de crises systémiques. Les décroissants signent ainsi une tribune et appellent à la réflexion : « L’expérience actuelle nous montre que le politique peut et doit reprendre le pouvoir sur une économie qu’il faut à tout prix remettre au service de la société. » C’est cette déconnexion nocive entre politique et économie qu’il faut maintenant questionner. La dérégulation est un dogme du même ordre que la théorie du ruissellement, largement critiquée par les économistes de tous horizons. Plus qu’une main invisible pour ajuster le marché aux besoins, il faut maintenant se tourner vers une politique concrète pour assurer la santé et la prospérité des peuples.
Diplômé de l'École Normale Supérieure en philosophie contemporaine, cherche à comprendre pour mieux informer.