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En Colombie, l’épidémie de violence perdure

Jusqu’au 27 avril, un confinement de la population colombienne a été décrété. La situation sanitaire inédite ne restaure cependant pas le calme dans le pays, miné par des décennies de conflits. Aujourd’hui comme hier, les assassinats s’enchaînent.

L’espoir naissait le 1er avril 2020. Ce jour-là, un cessez-le-feu unilatéral a été décrété par l’Armée de Libération Nationale (Ejército de Liberación Nacional/ENL). Dans ce pays où 3 977 cas de Covid-19 et 189 personnes décédées ont été recensés, l’ELN a caractérisé son action comme « un geste humanitaire pour le peuple colombien, qui souffre de la dévastation du coronavirus. »

L’ELN, une guérilla armée d’idéologie marxiste, a été créée en juillet 1964. Souvent marginalisée par la popularité des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), son rôle s’accentue lors de la signature du traité de paix en 2016, entérinant le conflit armé le plus important de la Colombie. Paradoxalement, les vagues de violences persistent. Sur les ruines des FARC, les autres groupes armés se réorganisent pour combler le vide laissé. Après la démobilisation des FARC, l’ELN est devenu le principal groupe de guérilla. 

« L’ELN respecte l’accord. Mais, comme dans toute organisation, des personnes sont d’accord, d’autres non. Certains de leurs membres s’opposent continuellement à ce que propose le gouvernement. Une petite partie du groupe continue de s’activer surtout dans le sud du pays », assure Mauricio Aponte, fonctionnaire au sein d’une institution du gouvernement colombien.

Mais, selon lui, la difficulté sécuritaire durant cette période de crise sanitaire n’est pas tant l’ELN. Les assassinats se poursuivent, même si une légère baisse des homicides a été remarquée depuis 2016. « Le problème se trouve en réalité dans les plus petits groupes armés. Le Sud du pays est pauvre et nous assistons à de nombreux pillages de banques et de supermarchés. »

Assassinats ciblés : une liste sans fin

Aujourd’hui, cette situation d’instabilité chronique persiste durant la crise du Covid-19. « Comme les forces de sécurité sont occupées à autre chose, les groupes armés y voient une opportunité », explique Frédéric Massé, Codirecteur du réseau corail rouge de surveillance du crime organisé en Amérique latine.

Depuis le 1er janvier, selon l’Institut d’études pour le développement et la paix en Colombie (Indepaz), 77 « leaders sociaux » et défenseurs des droits humains ont été assassinés. Ergio Narvaez, ancien conseiller et leader politique a été tué le 10 janvier. Mario Chilhueso, chef paysan de la Naya et président de l’ASTCAP, le 19 avril. Chaque mois, la liste est longue, mais le phénomène n’est pas nouveau.

La Colombie apparaît comme l’un des pays les plus meurtriers au monde contre les défenseurs des droits humains. « Dans le contexte de la crise de Covid-19, les leaders sociaux sont exposés à des risques accrus. En raison des restrictions imposées pour endiguer la pandémie, les mesures de protection mises en place par l’État sont réduites. Ils ne peuvent plus se déplacer d’un endroit à un autre pour leur sécurité », a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques à Amnesty International. 

Les « leaders sociaux » ne sont pas les seuls visés par ces forces non étatiques. Les ex-combattants, signataires des accords de paix en 2016 continuent d’être abattus. Le choix de se réinsérer dans la vie civile devient, en Colombie, source de danger. En 2020, 23 ex-guérilleros ont été tués, sur un total de 190 depuis la signature des accords de 2016. Pour les protéger, une unité nationale de protection a été mis en place. L’organisme d’Etat assure la sécurité de près de 8 000 personnes.

Cependant, conséquence d’une grande faiblesse de certaines institutions étatiques, la présence de l’Etat dans certaines zones est limitée. Les groupes criminels profitent de la crise pour réaffirmer leur présence. « Ce n’est pas nouveau. Dans les régions où leurs troupes sont présentes, ils jouent un rôle de régulation économique politique et social. Il propose du travail à la population », explique Frédéric Massé. Dans le nord de la Colombie, à Bolivar, l’ELN a publié une brochure annonçant qu’ils se verraient obligés « de tuer des gens pour sauver des vies ». Les abus des groupes armés pour s’imposer sont très souvent observés en cette période de crise sanitaire. « Les civils qui désobéissent peuvent être punis de travaux forcés ou même assassinés », dénonce Human Right Watch. Le Clan Del Golfo regroupe 3 000 à 3 500 membres et s’est implanté dans 107 municipalités. Autre exemple, à plus petite échelle, « el Ejército Popular de Liberacion », fort de 200 membres, domine 10 municipalités des régions de Catacumbo et du nord de Santander.

Pour rappel, les forces de la police nationale comptent 167 623 membres pour assurer la sécurité du pays. De son côté, Mauricio Aponte assure que le président colombien, Ivan Duque, a tout mis en œuvre pour « renforcer la présence des équipes de police et de militaires » dans les zones qu’il considère comme les plus vulnérables. Pour une majorité de la population, ces mesures sont « insuffisantes », note Frédéric Massé. « Cela étant, on ne peut pas mettre un policier avec chaque leader. C’est compliqué, souvent les personnes assassinées ne sont pas protégées. »

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