Décryptage

Covid-19 : premier au palmarès de la peur

La peur face au Covid-19 s’est révélée plus forte que face au terrorisme. Les discours gouvernementaux exercent une influence conséquente sur le comportement et l’opinion des Français.

« Nous sommes en guerre. » Emmanuel Macron a choisi cette formulation pour annoncer aux Français la propagation d’un danger sanitaire sur le territoire. « La terminologie guerrière est forte et symboliquement violente », affirme Lucie Jouvet, docteure en sociologie à l’université de Franche-Comté. La guerre suppose une conflictualité censée mener jusqu’à l’anéantissement d’une population. « Lutter contre la pandémie du coronavirus n’est pas une guerre car il n’est pas question de sacrifier les plus vulnérables au nom de la raison d’Etat », écrit Maxime Combes, économiste et membre d’Attac France, sur le blog de Mediapart.

Sid Abdellaoui, professeur de psychologie sociale et du travail à l’université de Lorraine et vice-président de l’Association française de criminologie, observe des effets perturbateurs et la différence entre les « optimistes », plus « septiques », et les « pessimistes », qui se montrent « encore plus virulents à l’égard du pouvoir. » En utilisant le terme de « guerre » pour renforcer l’union nationale, Emmanuel Macron a finalement renforcé le comportement de rejet. « Tout cela peut générer un comportement d’auto-exclusion, voire d’autodestruction puisqu’il y de plus en plus de dépressiosn et de comportements délétères », complète Sid Abdellaoui, alerté par les aspects dépressifs qui ont émergé.

« Mais il y a tout un ensemble de facteurs qui résonnent dans le même sens par rapport aux craintes que l’on peut avoir face au virus », ajoute plus modérément Lucie Jouvet. La peur, même si elle est en partie suscitée par la rhétorique du gouvernement, découle également d’une « preuve sociale », qui vient « donner corps à quelque chose d’invisible » : « Lorsque tout le monde adopte les mêmes gestes, c’est une espèce de prédiction créatrice. C’est-à-dire que lorsqu‘on évite une situation, elle devient réelle dans ses conséquences. » Les innombrables précautions prises pendant cette crise sanitaire contribuent à alimenter ce sentiment d’insécurité, nourrissant la méfiance au sein-même de la population.

« Un sentiment d’impuissance »

Le cap des 20 000 décès en France a été atteint, lundi. Ce nombre attise considérablement la crainte d’être soi-même contaminé ou de contaminer ses proches. Selon les statistiques recueillies par Statistica, 82 % des personnes sondées craignent le virus, dépassant les 31 % relevés en 2016 à la suite des actes terroristes.

« De 2006 à 2019, le nombre de morts a varié entre 12 000 et 30 000 par an dans le monde à cause de Daech. Il y a eu des pics en 2015, 2016 et 2017 à 26 000, 28 000 et 30 000 morts. Avec le virus, en cinq mois, cela fait plus de 170 000 morts ! souligne Sid Abdellaoui. Cette fois, la grande majorité des morts est chez nous, en Europe, donc ça ne peut qu’être un accroissement du sentiment de peur. »

Le terrorisme reste un phénomène associé à une idéologie qui « repose sur un certain nombre de principes que les politiques pensent avoir identifié », développant ainsi une « forme d’illusion de maîtrise de la situation. » Les mesures contre le terrorisme sont accompagnées d’un discours « où le politique va être gagnant », ce qui va contribuer à affaiblir la peur. De plus, ces discours vont être ponctués par le fait qu’aucun groupe terroriste « n’a jamais pris le dessus sur nos sociétés occidentales. » Au contraire, l’opacité autour du Covid-19 aborde la « dimension de visibilité et d’invisibilité. »

« Son origine est très floue, on n’arrive pas clairement à cerner toute sa potentialité mutante, on ne sait toujours pas trop comment les choses vont vraiment évoluer… », poursuit le professeur de psychologie. « Le virus est considéré comme un élément voisin alors que Daech était encore considéré comme un élément lointain. » En clair, l’un est concret, l’autre est abstrait. Malgré la multiplication des recherches, le manque d’information sur le virus alimente « un sentiment d’impuissance qui va fragiliser cette confiance pourtant nécessaire en situation de crise. »

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Etudiante en deuxième année de journalisme, je suis à la recherche d'un stage de trois mois dans une rédaction de presse.

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