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« Mon corps, mon choix », le tournant mondial du droit à l’avortement

La question du droit à l’avortement se retrouve à l’ordre du jour dans plusieurs pays. Certains Etats se servent de cette crise sanitaire pour faire passer des lois anti-IVG, notamment en Pologne et aux États-Unis.

En pleine pandémie mondiale, le droit à l’avortement est encore menacé. L’Etat du Texas a décidé fin mars de classer les avortements comme une intervention non-essentielle. Une décision a été prise par le procureur général du Texas, Ken Paxton. Il a ordonné de reporter tous les avortements jusqu’au 21 avril, sous peine de 180 jours de prison et 1 000$ d’amende pour les médecins pratiquant cette IVG. La vice-présidente de Reproductive Rights State Innovation Exchange de Denver, Kelly Baden, estime que les mesures anti-avortement mises en place actuellement profitent à une minorité de politiciens conservateurs : « Le fait que ces partisans de la restriction de l’avortement soient prêts à se servir d’une pandémie mondiale pour répondre à leurs propres besoins est aux antipodes des simples faits de santé et de sécurité. » L’initiative du procureur a été jugée comme désobligeante et discriminatoire pour les Américaines par le juge fédéral texan, Lee Yeakel. Ce dernier a rétabli en quelques jours l’accès à ce droit fondamental au Texas.  

Depuis des décennies, cette opposition idéologique scinde en deux les Etats-Unis : d’un côté les pro-choice avec les collectifs féministes et les démocrates, et de l’autre les pro-life avec les catholiques, les protestants et les républicains. L’avortement est devenu un enjeu moral à partir de 1972 avec le combat d’une femme, Norma McCorvey. Ce droit civique a été banni dans presque tous les Etats en Amérique, mais cette activiste féministe combattait cette décision. Elle voulait que cette interruption volontaire de grossesse devienne un droit fondamental pour toutes les Américaines. Avec l’aide de ses avocats, elle a porté plainte contre le gouvernement fédéral du Texas. Son combat a imposé l’IVG dans le débat présidentiel de 1972, divisant démocrates et républicains : « L’avortement est classé comme un droit constitutionnel par la Cour suprême un an après ce procès. Fondamentalement, les états ont adopté des lois pour tester en permanence les limites de l’arrêtt Roe v Wade, ce qui a donné lieu à un patchwork de lois dans tout le pays », analyse Kelly Baden. La lutte pour ce droit civique et démocratique a redonné un espoir pour le mouvement féministe, mais 40% de la population américaine est toujours hostile à ce choix fondamental pour la femme. Aujourd’hui, plus de 500 lois fédérales restreignent l’accès à l’avortement des Américaines. 

La colère actuelle des collectifs féministes résulte en outre de la décision prise par Ken Paxton de fermer des cliniques pour avortement au Texas. Depuis des années, de nombreux Etats ont adopté des lois rendant difficile le maintien en activité de ces établissements. Leur nombre est en baisse en raison d’un système de santé onéreux et inégal socialement : « Ces cliniques sont très chères. Une poignée des états n’a qu’une seule clinique sur tout leur territoire. Il existe un climat incroyablement hostile aux prestataires de ces établissements, en raison de diverses réglementations et d’exigences inutiles de politiciens », constate avec désarroi Kelly Baden.

En 1976, des opposants politiques à l’IVG ont décidé d’empêcher les femmes de se faire avorter légalement afin de réorganiser la couverture de l’assurance publique pour l’avortement : « Cette mesure est devenu la loi Hyde. Elle stipule que pour les cas des avortements il n’y a aucune aide, mais uniquement pour ceux des accouchements et des soins prénataux. Cela signifie que trouver un moyen de payer un avortement est un énorme défi pour les personnes à faibles revenus. Cette loi est une vaste parodie », conclut Kelly Baden. Le statut des cliniques d’avortement change tous les jours sous l’influence des tribunaux. A l’heure actuelle, seuls les avortements médicamenteux peuvent être pratiqués au Texas. À l’autre bout du monde, ce parallèle politique et juridique est également présent dans des pays dirigés par des autorités hostiles et influencées par la religion.

Le droit à la vie pour tous les êtres humains 

Le cas le plus probant est celui de la Pologne. Irene Donadio, chef de stratégie du réseau européen IPPF, estime que la politique de l’avortement polonais est « l’une des pires en Europe car elle est dictée par des groupes fondamentalistes, par le biais de négociations avec les forces politiques qui ne se soucient pas de la santé des femmes, ni de leur vie. » Cette constatation est le fruit de nombreux débats au sein de l’hémicycle parlementaire de Varsovie. Le 12 avril dernier, le vote pour l’interdiction d’avortement en cas de malformation fœtale « Stoppons l’avortement », a été rejeté. Un soulagement pour les collectifs féministes, mais également une lutte sans fin. Ce texte a pu voir le jour grâce aux pro-catholiques, en particulier avec le soutien de la militante « anti-choix » Kaja Godek. L’Eglise catholique a une importante influence dans les enjeux politiques du pays. En 1993, elle avait déjà joué un rôle avec l’Etat dans la construction de la loi contre l’avortement, en se créant une place politique en adéquation avec son aura populaire de l’époque (en Pologne, 90% de la population est catholique et pratiquante). « Pour les polonaises c’est extrêmement difficile de trouver un médecin qui accepte de pratiquer cette intervention, en priorisant leur santé au détriment de toute croyance personnelle ou de leur emploi pour ceux qui travaillent dans des hôpitaux catholiques », explique avec effroi Irene Donadio.  

Un pays européen et catholique a réussi à approuver ce droit fondamental de disposer de son corps : l’Espagne. Dans son histoire, le catholicisme a une place fondamentale. Mais selon une récente étude de 2019 par le journal El Diaro : « Il y a désormais plus d’athées, de non-croyants et d’agnostiques que de catholiques pratiquants en Espagne : 66,3% le sont dont 22,7% pratiquent la religion. » Ces données peuvent sembler paradoxales, mais elles sont dérisoires compte tenu de son passé et de l’influence que la religion exerce sur le pouvoir politique. Le sujet des avortements a bien entendu été au centre des attentions et a failli voir son interdiction en 2013. C’est le chef du parti conservateur, Mariano Rajoy qui était aux commandes de cette mesure, mais grâce à la ténacité des partis politiques de gauche et des féministes, le projet est passé à la trappe. 

L’accès aux soins pour les IVG est gratuit, mais un flou domine encore l’opinion publique. La Fédération de la planification familiale (FPFE) mentionne que « la prestation de la santé de l’interruption volontaire de grossesse devrait être faite dans les centres de réseau de santé publique, mais la plupart des avortements en Espagne sont effectués dans les cliniques privées. » En pleine épidémie du Covid-19, l’Espagne rencontre aussi dans certaines régions des obstacles notables pour à l’avortement. « Les Espagnoles ont des difficultés pour assister à des rendez-vous médicaux. En Catalogne et en Galice, il y a des centres de soins primaires qui ne fonctionnent pas normalement », constate le FPFE.Ces problèmes rencontrés le sont également dans de nombreux domaines de consultations spécialisées, dont la gynécologie, où les rendez-vous sont pour la plupart reportés, voire annulés. 

L’un des problèmes majeurs de l’Europe est sa velléité de moderniser l’avortement. « Le corpus européen doit libéraliser le droit à l’avortement sur tout le continent afin de répondre aux défis posés par ce verrouillage dans certains pays. Nous devons mettre en application la télémédecine en garantissant un recours rapide et sûr à l’avortement médicalisé à domicile, comme le prévoient les nouvelles directives au Royaume-Uni et en Irlande », suggère Irene Donadio. En 2017, le haut-commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe avait constaté dans un rapport « des difficultés d’accès à l’avortement et des conditions trop restrictives de remboursement, notamment en Pologne et en Slovaquie. » Depuis ce jour, un silence pèse sur ce dossier et aucune action ou décision concrète n’a été prise. 

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Apprenti journaliste en quête de l'inconnu. Toujours à la recherche de sujets atypiques qui font bouger notre société.

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