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Il était une fois en Amérique : récit d’une fracture sociale

L’épidémie de coronavirus parcourt les États-Unis, de la côte Est à la côte Ouest détruisant sur son passage la vie des Américains, oubliés par la politique ultra-libérale de Donald Trump.

Dire que les États-Unis sont le chantre du néolibéralisme dans ce qu’il a de plus féroce pour les travailleurs est un euphémisme. Pourtant, ces dernières années, un renouveau démocrate apparaît autour de Bernie Sanders et de l’idée d’un « Green New Deal » pour relancer l’économie par l’écologie. Robbie, après avoir fait ses études à l’université de Bard dans l’État de New York, est parti s’installer à Los Angeles pour devenir scénariste. Lui qui récuse « l’establishment » démocrate croyait en une victoire de Bernie Sanders face à Donald Trump en novembre 2020. Au lieu de cette victoire, il apprend avec amertume la défaite de son candidat face à Joe Biden aux primaires démocrates : « On est vraiment déçus parce qu’on pense que Joe Biden n’a aucune chance de battre Donald Trump. Je ne comprends plus ce pays qui pense qu’un candidat qui veut aider la population n’est pas réaliste. »

C’est en pleine pandémie que Bernie Sanders met fin à sa campagne présidentielle, laissant Robbie et sa compagne Erin vivre leur confinement avec aigreur. Alors que les politiciens et les économistes s’affolent, Robbie redécouvre sa ville « si paisible maintenant » quand il arpente seul les rues pour aller au travail. En première ligne, il est chef de rayon dans un supermarché du côté Est de Los Angeles : « La première semaine, les gens ont paniqué. Nous étions à court de conserves, d’eau, d’oeufs et de papiers toilettes. » Pour pallier au pillage des stocks, son entreprise a mis en place des restrictions pour les acheteurs : « et dans la semaine nos stocks sont revenus à la normale ».

Alors que la France se découvre un intérêt tout particulier pour le papier toilette, les Américains de tous bords se ruent sur les armes à feu. Le FBI a dû vérifier près de 3,7 millions d’antécédents, traduisant une augmentation des ventes d’armes de 42% sur le mois de mars uniquement. « Maintenant, plus que jamais, il est important pour les familles d’avoir la possibilité et les outils nécessaires pour se sentir en sécurité et aptes à se défendre », a ainsi déclaré la porte-parole de la NRA (National Rifle Association), Amy Hunter. Très proche du lobby de l’armement, Donald Trump n’a engagé aucune restriction sur la vente et l’achat d’armes. En revanche, Andrew Cuomo, gouverneur de l’État de New-York, a exclu les armureries de la liste des magasins essentiels. La NRA, très déçue par ce choix, a décidé d’attaquer en justice l’État de New York, le plus touché par la pandémie du coronavirus.

Depuis leurs villas, de nombreuses stars ont appelé les Américains à rester chez eux. Crédit : Calvin Ropers

Le prix de la santé

Sur la côte Est, Jim et sa femme Sonia traversent une période difficile. Leur fille Lauren a été contaminée par le Covid-19. Confrontés à un système de santé très onéreux qui ne prend pas en charge ce type de maladie, ils sont inquiets. Jim, dont l’état de santé est fragile, connaît bien le fonctionnement des hôpitaux et leurs factures. Si l’actuel locataire de la Maison Blanche a annoncé prendre en charge les frais médicaux des victimes du coronavirus, Jim, comme bon nombre de ses concitoyens, reste très méfiant. Alors que 27 millions d’Américains ne bénéficient d’aucune protection sociale, se faire soigner du coronavirus coûterait 73.300 dollars selon Business Insider, mais uniquement pour une hospitalisation de 6 jours. Parallèlement en France, les malades en réanimation restent en moyenne 21 jours. 

Pendant ce temps, Robbie et Erin reçoivent chacun un chèque de 1200 dollars de la part du gouvernement américain. Robbie, qui apprécie le geste, n’est pas dupe : « Je sais que notre président n’y est pour rien. C’est une décision du Congrès, il n’avait pas son mot à dire. » Sa méfiance est compréhensible : Dès les premiers jours qui ont suivi son investiture, Donald Trump s’est attaqué à l’Obamacare, un système de protection sociale qui permettait à tous les Américains de souscrire à une assurance privée grâce à une aide de l’Etat. La décision du président paraît donc absurde. Car si 8,5% des Américains n’ont aucune protection sociale, celle-ci a augmenté de 30% pour ceux ayant souscrit à une assurance, ce qui provoque leur paupérisation et leur endettement. Un ménage est en moyenne endetté de 126.000 dollars pour trois raisons : les crédits à la consommation, le prix de l’éducation et le paiement des soins. Robbie est donc inquiet : « Ce n’est qu’un seul paiement, si le confinement dure, comment les gens vont se nourrir, payer leur loyer, et l’électricité ? » Erin, elle, a déjà perdu l’un de ses deux emplois.

Après une semaine de quarantaine, Jim et Sonia sont soulagés : leur fille n’est plus malade. Elle n’a connu aucune complication et n’a pas transmis le virus à ses parents. Une situation exceptionnelle, et peu représentative de la réalité.  C’est pourquoi Andrew Cuomo a déclaré : « Je voudrais voir le taux d’infection au coronavirus baisser plus encore. La politique de confinement restera appliquée jusqu’au 15 mai. » Rappelons que New York centralise un tiers des cas de coronavirus détecté aux États-Unis. La contre-attaque sanitaire axée sur le dépistage de la population, qui a été préconisée par tous les experts de la santé, n’est pas la priorité du président Américain. C’est plutôt la relance de l’économie qu’il a dans le viseur.

Une crise sanitaire qui relance la campagne présidentielle

Alexandria Ocasio-Cortez, porteuse du projet Green New Deal pour relancer l’économie par l’écologie. Crédit : Wikimédia

« La distanciation sociale marche vraiment bien en Californie, je pense qu’il est possible de l’appliquer aux autres États avec la même efficacité », déclare Robbie. Alors que le chômage atteint un record semblable aux années 1930, la relance de l’économie américaine, en pleine récession actuellement, devient un enjeu mondial. Un effondrement de l’économie américaine entraînerait, par un jeu de dominos, l’effondrement de l’économie de marché elle-même. Au moment où l’économie doit être relancée, la perspective d’un « Green New Deal » apparaissait comme une aubaine. Avec le retrait de Bernie Sanders, il faudra attendre la montée d’une nouvelle figure de proue, peut-être incarnée par Alexandria Ocasio-Cortez en 2024.

L’élue démocrate, et représentante d’un quartier de New York sévèrement touché par le coronavirus, a annoncé le 15 avril qu’elle s’attendait à soutenir Joe Biden à condition que celui-ci clarifie ses positions sur le système de soins, sur l’immigration, et sur le changement climatique. L’ancien vice-président de Barack Obama pourrait ainsi réunir le camp démocrate divisé en deux avec d’un côté les « radicaux de gauche », et de l’autre, « l’establishment ».

Les analystes d’Oxford Economics tablent pour un retour à la normale en 2022 alors que le maire de Los Angeles, Eric Garcetti, annonce qu’il n’y aura plus aucun grand rassemblement en 2020 dans sa ville. La deuxième plus grosse ville des États-Unis après New York se couperait donc de son principal vivier économique en interdisant les compétitions sportives. Puisque la croissance économique ne reprendra pas cette année, c’est l’occasion pour les Démocrates d’accentuer leur communication sur les politiques sociales nécessaires pour soutenir la population américaine. La crise sanitaire est une opportunité pour remettre sur le devant de la scène les idées socialistes défendues par Bernie Sanders depuis de nombreuses années comme le revenu universel, la protection sociale généralisée, et la transition énergétique.

De son côté, Jim n’est pas satisfait de la politique de Donald Trump et ne l’a jamais été : « j’ai honte pour mon pays, c’est embarrassant de l’écouter parler. » Il remet en cause sa politique clivante qui approfondit la fracture sociale entre les États du croissant périphérique au bord de la côte et les États de la diagonale centrale où ses électeurs sont les plus présents. Alors que les côtes Est et Ouest sont les plus touchées par l’épidémie par rapport aux États intérieurs, le clivage politique doit laisser place à la réconciliation sociale. Comme de nombreux Démocrates, Jim se tournera vers Joe Biden aux prochaines élections.

Quand on lui parle du maintien des élections municipales en France, Robbie n’est pas étonné : « Il y avait des élections dans le Wisconsin mais le gouvernement n’a pas laissé les gens voter via internet alors qu’on a un système prévu pour. » Une décision politique qui, comme en France, met en danger la population. Lorsqu’il apprend que la porte-parole du gouvernement annonce en direct qu’elle ne sait pas mettre un masque, il répond dans un fou rire : « C’est bon de savoir que notre gouvernement n’est pas le seul à mentir aux citoyens ! »

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Diplômé de l'École Normale Supérieure en philosophie contemporaine, cherche à comprendre pour mieux informer.

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