Le coronavirus ne sera pas uniquement responsable d’une crise sanitaire aux proportions inégalées, il apporte également la promesse d’une restructuration totale de l’ordre économique mondial et d’une revalorisation du travail.
Une fracture séparera notre siècle en deux temps, l’avant et l’après COVID-19. Les secteurs épargnés par une transformation n’existent probablement pas et des décisions difficiles seront à prendre pour se remettre de l’arrêt presque total de l’activité économique. Ces changements seront motivés par des constats que la crise généralisée fait émerger.
Les incalculables failles de nos systèmes sont la première « révélation » apportée par la pandémie. L’importance d’un exécutif prévoyant, d’un système de santé fonctionnel et des « Invisibles » (infirmières, éboueurs, livreurs) seuls métiers encore autorisés à exercer dans une période qui restreint l’activité à l’essentiel, en est une autre.
Cette notion d’essentiel et l’idée d’une revalorisation d’un certain nombre de secteurs remettent en cause l’importance accordée à ceux qui, en temps de crise, ont su se faire oublier. Ces Bullshit Jobs, traduisez « emplois à la con », génèrent actuellement nombre de réflexion. Chez les employeurs, qui versent des salaires alors que les ressources s’amenuisent, mais aussi et surtout chez ces employés qui à travers toutes les heures libérées, peinent à trouver un sens à leur travail.
Des emplois inutiles
Cette théorie d’emplois inutiles, est parue en 2013 sous la plume de David Graeber, anthropologue américain. Il propose de classer les emplois dans la catégorie des « Bullshit Jobs » sur une simple question. Si votre métier venait à disparaître, cela impacterait-il la société ? Un débat soulevé par l’arrêt actuel d’une majorité des activités. Un lien paradoxal se construit alors entre l’utilité d’un emploi et sa rémunération, deux facteurs en apparence totalement dissociables.
Sans caissiers, éboueurs, ou encore infirmières, nos quotidiens seraient immensément affectés alors que l’impraticabilité d’autres métiers sur le dernier mois n’a nullement impacté nos vies. Selon le sociologue François Dupuy, cela pourrait pousser les entreprises à revoir leurs modes de fonctionnement interne :
« On remarque que malgré la diminution des effectifs, relative à la période, le travail est fait. Au sortir de la crise, les entreprises se demanderont inévitablement si elles ne sont pas surstaffées. »
Il advient maintenant de se demander pour quelles raisons les entreprises développent et conservent ces bullshit jobs. Pour le partner d’un cabinet de conseil, qui a souhaité rester anonyme, c’est la complexité des entreprises qui permet à ces emplois d’exister. Ils ont été créés pour répondre à un besoin avant qu’un dysfonctionnement ne fasse d’eux des emplois parasitaires.
Il ajoute que « Si on pouvait supprimer ces emplois on le ferait et ce serait souhaitable pour tout le monde, y compris pour ces employés, souvent malheureux. Ce serait super ! On pourrait les placer à des postes où ils s’épanouiraient plus, mais je ne crois pas à la possibilité de le faire. »
Vers une « bullshitisation généralisée » de tous les métiers ?
Les tâches administratives prennent en importance dans de nombreux corps de métier. L’auto-évaluation, individuelle puis collective et l’ensemble des obligations pervertissent le but de nombreux emplois. Eric Hamraoui, maître de conférences et enseignant en philosophie au Conservatoire national des arts et métiers relate ce phénomène :
« Nous passons un temps fou à rassembler nos publications, à rédiger des rapports d’activité en vue de l’évaluation de nos recherches. J’estime que nous y perdons beaucoup et ce gaspillage de temps, ce détournement, affecte profondément le rapport au sens de notre activité. »
Pour David Graeber, la vaste majorité des travailleurs de bureau, publics comme privés, consacrent leur vie à des tâches non essentielles. La quête d’un sens, pourtant inhérente au genre humain amène à vivre avec ce constat : celui de n’être qu’un maillon inutile et interchangeable. Un constat lourd de conséquences, comme l’explique François Dupuy :
« J’ai pu observer que les gens qui sont dans cette situation sont rarement heureux. Ils rationalisent et s’agitent pour se donner l’impression que leur travail a un sens, mais fondamentalement ils savent bien qu’ils sont en marge de l’utilité. »
Pour vérifier l’impact réel qu’a la mise en pause de ces métiers il a été nécessaire de passer un coup de fil à Marc, un cadre chez Orange :
« – Alors les Rh ne te manquent pas trop ? – Non je ne m’en étais même pas rendu compte, je ne reçois juste plus tous les mails à la con que ne je lisais déjà pas ! »
Etudiant en deuxième année de journalisme à l'ISCPA je suis à la recherche d'un stage d'une période de trois mois en presse écrite.