Santé

La mémoire des tragédies, premier remède aux pandémies

Dans l’histoire des épidémies, l’humanité a eu à faire face à de nombreuses maladies incurables qui ont obligé les autorités à prendre des mesures sanitaires semblables à aujourd’hui.

Le premier élément de comparaison rapporté au coronavirus, c’est la grippe espagnole de 1918. Une épidémie dont le bilan mondial est aujourd’hui estimé entre 50 et 100 millions de morts, soit 2 à 5 % de la population mondiale de l’époque.

 « Il y a toujours une part d’inconnu dans les catastrophes naturelles et notamment dans les épidémies. » pointe Freddy Vinet, co-responsable du master gestion des catastrophes et des risques naturels à l’université Paul-Valéry de Montpellier et auteur de La Grande Grippe. « Si on avait eu plus tôt la composition par âge des personnes décédées, on aurait peut-être pu confiner autrement, en se concentrant sur les personnes âgés et fragiles. (…) Durant la grippe espagnole de 1918, la mortalité concernait une toute autre tranche d’âge, principalement les 15-45 ans. »

« Une des particularités des épidémies, c’est l’anticipation spatiale. Par exemple dans le cadre d’une inondation, le risque est localisé et prévisible dans l’espace. Dans le cadre d’une épidémie, comme lors d’une canicule ou d’un orage, on peut connaître la diffusion, mais où va apparaître le premier cas, où va frapper la foudre, c’est ça notre inconnue. Dans certains secteurs, comme le Morbihan ou en Haute-Savoie aux Contamines-Montjoie, le patient zéro a été identifié assez tôt, mais dans l’Oise ou à Mulhouse, la diffusion était déjà en cours et il était trop tard. »

Les morts oubliés de la Grande Grippe

Le contexte de guerre mondiale de 1918 a beaucoup joué sur la « mémoire de l’épidémie » en Europe. L’héroïsation était alors à la figure du poilue combattant dans les tranchées des Flandres et non aux blouses blanches. « Il ne fallait pas faire savoir aux Allemands que la France était atteinte par une épidémie. Le souvenir de la grippe de 1918 n’a donc pas été conservé dans la mémoire collective, justement parce qu’à partir des années 20, on a construit collectivement une mémoire de la guerre 14-18. »

Cette commémoration a complètement éclipsé les victimes de la grippe, au point que les monuments érigés ne concernent que les morts de la guerre, sans faire mention des 240 000 victimes de la grippe. À Québriac en Bretagne, il aura fallu attendre un siècle pour ajouter un 70e nom sur le monument de la commune, celui de Pierre Lesné, qui après avoir combattu sur le front, mourut finalement de la grippe un mois avant l’armistice.

« Ce qu’on retrouve aussi à l’époque, ce sont les controverses scientifiques notamment, pour soigner la grippe – alors même que le virus ne sera identifié en 1933. Il y avait notamment une croyance autour de la quinine. » Si cette polémique reste alors limitée à la sphère médicale, elle trouve un écho dans l’importance donnée à certaines études dans l’opinion publique aujourd’hui.

La peste noire, grande faucheuse du XIVe siècle

Les premières « pandémies » décrites apparaissent à partir du Ve siècle avant J.-C. en Grèce et en Rome antique, la dernière pandémie de peste survient au Ve siècle et fera 25 millions de morts. Le retour de la peste ne se fera que huit siècles plus tard, au cours de la peste noire qui tue 30 à 50 % des Européens en cinq ans.

« Auparavant, l’hôpital est un lieu de charité qui accueille les pauvres, première population touchée par les maladies », explique Marilyn Nicoud, professeur d’histoire médiévale spécialiste de l’histoire de la médecine et de la santé. Mais la récurrence des épidémies de peste pendant plusieurs siècles marque le début d’une forme de spécialisation de l’hôpital.

« On voit se développer les premières mesures de mise en quarantaine pour les navires et des cordons sanitaires entre les cités infectées de Lombardie notamment, et celles qui ne le sont pas. Dès 1348, les autorités dans le nord de l’Italie mettent en place des bulletins de santé pour les personnes et des bureaux de santé permanents pour surveiller l’état sanitaire des villes. (…) À partir du XVe siècle apparaissent les lazarets, des établissements de quarantaine spécialement conçus pour accueillir les pestiférés. »

« Quand la pandémie s’étend en Occident à partir de 1347, on a complètement oublié cette maladie. » explique Marilyn Nicoud « C’est le retour récurrent de la peste par la suite qui permet d’affiner et de généraliser une prévention sanitaire. » L’hôpital public d’aujourd’hui, tout comme les politiques de santé, trouve son origine dans la nécessité de combattre les épidémies de l’histoire. Avant l’invention du vaccin, c’est bien la mémoire de l’épidémie qui rend les mesures et leur application possible. Un souvenir qui en Europe, s’est retrouvé écrasé par le poids des morts des tranchées, mais qu’il apparaît maintenant nécessaire d’entretenir pour éviter les bilans d’hier.

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