Aujourd’hui, la crise sanitaire épargne largement le Liban. On décompte 681 cas pour 21 décès. Les strictes mesures ont permis aux autorités d’avoir un contrôle global du virus. Cependant, le confinement met à nu une grande partie de la population déjà affectée par la crise économique sans précédent.
Dès le 2 mars dernier, les restaurants, les magasins, les écoles, les universités et les crèches ferment. Puis, le 13 mars les vols sont stoppés. Le Liban se retrouve dans un isolement international total. Les frontières maritimes, aériennes et terrestres sont fermées. Jamais dans l’histoire du pays, une telle situation ne s’est produite. Ni durant l’invasion israélienne de 1982, ni même pendant la guerre civile entre 1975 et 1990. « La crise est relativement contenue. Ce ne sont pas des courbes exponentielles. Les autorités sanitaires ont bien géré la crise pour l’instant », explique Raphaël Gourrada, spécialiste du Liban. Cependant, l’interrogation n’est pas tant la crise sanitaire, mais porte plutôt sur la crise économique et politique que traverse le pays. Le Covid-19 amplifie ces problèmes.
Depuis déjà de long mois, l’économie libanaise agonise. Sa croissance est au point mort, elle s’estime à seulement 0.2% en 2018. Les transferts de fonds venus de l’étranger [16% du PIB] envoyés par la diaspora libanaise ne suffisent plus à maintenir l’économie. 80% des produits sont importés par le Liban, le régime est au bord de la faillite, la dette de l’Etat avoisine les 178% du PIB et son déficit public atteint 11%.
« Les répercussions du Covid-19 sur l’économie libanaise sont désastreuses. Le pays était déjà miné par une crise économique », notifie Raphaël Gourrada. « Aujourd’hui, il y a plus de travail, les commerces ferment, et le domaine de la restauration ne tourne plus. C’est un pays qui subit les mêmes conséquences économiques que la France, mais amplifiées par 10. La crise est beaucoup plus forte car les instances sont plus fragiles et l’Etat est absent. » Dans un pays ou un tiers de sa population vit sous le seuil de pauvreté [selon des estimations de la Banque mondiale datant de 2018] et où 46% de sa population active est sans emploi, l’accès aux besoins de première nécessité n’est plus garanti.
« Des millions de résidents du Liban risquent de souffrir de la faim »
Des « émeutes de la faim » ont alors éclaté partout dans le pays, notamment à Tripoli. Dans un communiqué, l’ONG Human Rights Watch appelle à la prudence : « Des millions de résidents du Liban risquent de souffrir de la faim en raison des mesures de verrouillage liées à la pandémie. À moins que le gouvernement ne mette en place de toute urgence un plan solide et coordonné pour fournir une assistance. La pandémie de Covid-19 a exacerbé une crise économique déjà dévastatrice et mis en évidence les insuffisances du système de protection sociale du Liban. » Lena Simet, chercheuse sur les questions de la pauvreté et des inégalités à Human Rights Watch ajoute également que « Le blocage pour ralentir la propagation de Covid-19 a aggravé la pauvreté et les difficultés économiques qui sévissaient au Liban avant l’arrivée du virus. » Près de 220 000 emplois ont déjà été supprimés.
Pour faire face à ce risque, le gouvernement dirigé par le Premier ministre Hassan Diab a annoncé la distribution de 400 000 livres libanaises [soit 150 dollars] aux plus pauvres. Une semaine auparavant, 75 milliards [28 millions de dollars] avaient également été promis pour la nutrition et l’assistance sanitaire. L’ONG affirme pourtant qu’« aucune aide ne s’est matérialisée. »
Cette fragilité étatique profite aux forces confessionnelles du pays. « Elles se substituent à l’Etat et assurent leur domination sur la société. Elles vont aider les populations », raconte Raphaël Gourrada « Le Hezbollaha a débloqué des millions de dollars d’aide. Les forces libanaises chrétiennes distribuent de la nourriture et des masques aux populations les plus fragiles. »
Les manifestations d’octobre 2019 remettaient en cause ce système et cette structure politique basés sur le confessionnalisme. Ce régime de partage du pouvoir entre les différentes religions [chrétiens, musulmans chiites et musulmans sunnites] était alors aux centres des interrogations. « La crise va leur permettre de regagner une certaine popularité. »
Pour Raphaël Gourrada, ce virus est « contre-révolutionnaire ». Il n’émet aucun optimisme quant au futur de la mobilisation. « La révolution reprendra peut-être après la crise. Mais les autorités vont probablement s’emparer de la crise sanitaire et promouvoir les gestes barrières pour empêcher les manifestations collectives de repartir. » Un soulèvement qui, au-delà de sa remise en question du système traditionnel, mettait en lumière ces inégalités et cette pauvreté qui mine ce pays du Moyen-Orient.