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Les enseignants « inquiets » de la réouverture des écoles le 11 mai

L’annonce de la réouverture le 11 mai prochain des écoles, collèges et lycées par Emmanuel Macron est jugée « prématurée » par une majorité du corps enseignant et des syndicats. Ces derniers craignent une recrudescence de l’épidémie.

« Tout sauf sérieux ». La décision d’Emmanuel Macron de rouvrir les établissements scolaires à partir du 11 mai provoque la colère unanime du corps enseignant. Francette Popineau, secrétaire générale du syndicat Snuipp-FSU, interpelle le chef de l’Etat sur les dangers de cette mesure précipitée : « C’est tout sauf sérieux de rouvrir les écoles le 11 mai car on nous dit que tous les lieux publics sont fermés, les cinémas, les salles de spectacle. Mais pas les écoles, alors que l’on sait que c’est un lieu de haute transmission, de haute contamination ! Il y a un manque criant de précaution, ça paraît être en contradiction totale avec le reste. »

Nathalie, professeure de français en 4e dans le 17e arrondissement de Paris, s’insurge contre la mesure du président Macron : « Je refuserai catégoriquement de reprendre l’enseignement dans un mois comme si de rien n’était. Le risque est trop élevé. » Carpour l’instant, les détails de ce retour à la normale sont trop flous pour rassurer l’enseignante : « L’opacité des déclarations du gouvernement me confortent dans ma décision. Elles paraissent omettre sciemment le risque d’une promiscuité prolongée entre enfants. Le président a annoncé des tests pour les malades présentant des symptômes. Les enfants et les adolescents, en général, n’en présentent aucun », insiste-t-elle.

 « Si les salles de spectacle et les cinémas ne sont pas rouverts, pourquoi donc autoriserait-on des salariés à fréquenter successivement 600 élèves dans 50 m? L’âge moyen d’un enseignant en France est de 43 ans, et la première victime du Covid-19 au sein de l’Hexagone était un enseignant », s’interroge Nathalie.

D’un point de vue pédagogique, une chienlit va inexorablement s’instaurer : « Mon programme de 4e se retrouve en jachère, je ne vois aucune issue pour atteindre les objectifs que je m’étais fixés. L’inertie des pouvoirs publics me révolte. De toute façon, cette année 2019-2020 sera une année blanche, malgré les efforts que nous consentirons pour mener à bien notre mission. »

Cette allocution apporte néanmoins une unique éclaircie au tableau : un colmatage des brèches nées de la fracture numérique de l’enseignement à distance. Emmanuel Macron déplorait lundi soir que « trop d’enfants, notamment dans les quartiers populaires et dans nos campagnes, [soient] privés d’école sans avoir accès au numérique, et ne [puissent] être aidés de la même manière par les parents. » Depuis la fermeture des écoles le 16 mars, quelque 12,5 millions d’élèves et 2,6 millions d’étudiants suivent les cours à distance. Mais dans les faits, les enseignants ont perdu le contact avec « 5 à 8% des élèves », a estimé il y a deux semaines Jean-Michel Blanquer. Au micro de France 2, lundi matin, le ministre de l’Education juge que la fermeture des écoles contribue à « creuser les inégalités » entre les familles qui ont la possibilité de faire classe à la maison et les autres. Mais il martèle que la réouverture sera « progressive », esquissant la possibilité de mettre en œuvre des « petits groupes » de travail. « Il est hors de question d’avoir des classes bondées dans la situation actuelle, ça c’est une certitude », conclut-il.

« Un risque inutile »

Le corps médical himself, pourtant adoubé par Emmanuel Macron, se désolidarise de cette décision. Saluant la prolongation du confinement jusqu’au 11 mai, le docteur Jean-Paul Hamon, président de la fédération des médecins de France, s’est toutefois inquiété, sur France Info, de la décision hâtive prise pour les crèches et établissements scolaires. « La seule chose qui me tracasse un petit peu, c’est la réouverture progressive des crèches, des écoles et des lycées parce que là, je pense que ça fait courir un risque inutile. Les enfants n’obéissent pas forcément aux consignes, ils vont naturellement jouer ensemble et ils risquent de ramener le virus à la maison », conclut-il.

Même son de cloche corrosif chez l’extrême droite, le vice-président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella : « Le chef de l’Etat a indiqué qu’il rendrait possible le test pour toutes les personnes qui ont des symptômes, or, on sait que 50 % des individus qui sont contaminés par le coronavirus sont asymptomatiques et, parmi ces asymptomatiques, il y a beaucoup d’enfants », a-t-il vilipendé sur BFMTV.

A l’aune de cette directive de l’Exécutif, une autre interrogation s’impose également : pourquoi rouvrir les établissements scolaires alors que les restaurants, cinémas ou théâtres garderont de leur côté portes closes ? Le directeur national de la santé publique québécois Horacio Aruda présentait, lors d’une conférence de presse il y a quelques jours au Québec, une réponse épidémiologique : « Il faut comprendre que les jeunes qui pourraient attraper la maladie, avec presque aucun symptôme, c’est comme si on les vaccinait. C’est la vaccination naturelle qui va s’installer. » Ainsi, en l’absence de vaccin, il faudra s’assurer que la population a développé une immunité de groupe, seul moyen pour que l’épidémie disparaisse complètement. Dans le cas du Covid-19, les spécialistes estiment que l’immunité de groupe doit atteindre 60% dans la population. La réouverture des écoles pourrait être un moyen d’y parvenir, sachant que le taux de contamination en France oscille entre 10 et 15% selon les spécialistes.

Déférence aux dieux de la finance ?

Olivier Faure, premier secrétaire du Parti Socialiste, pointe les failles du discours du chef de l’Etat. Lundi soir, dans son tweet assassin, il juge hâtive la réouverture des établissements : « L’ouverture des écoles ne peut avoir comme but inavoué de renvoyer travailler les parents, les étudiants se gardant tout seuls. »

Emmanuel Macron a de facto partagé sa volonté « de permettre au plus grand nombre, le 11 mai, de retourner travailler, redémarrer notre industrie, nos commerces et nos services. » Le ministre de l’économie Bruno Le Maire a en effet annoncé, mardi matin au micro de BFMTV, une probable chute de 8% du PIB français au cours de l’année 2020. Une récession à deux chiffres qui effraie au sommet de l’Etat : « Chaque jour, chaque semaine de confinement fait effectivement aggraver les finances publiques », a affirmé Gérald Darmanin, ministre de l’action et des Comptes publics, sur France Info mardi. 

Dans la guerre sanitaire menée par l’Exécutif contre le coronavirus, les enseignants semblent cantonnés au rôle de victime expiatoire. Laura, professeure de CP à Noisy-le-Sec, fulmine après les annonces « incompréhensibles et contreproductives » du chef de l’Etat : « Nous, les professeurs, sommes, de nouveau envoyés au front, comme de la chair à canon. Nous savons pertinemment que les enfants sont les plus grands vecteurs de propagation de la maladie, car il est très difficile pour eux de respecter scrupuleusement les gestes barrières. Cette mesure de l’Exécutif confère au non-sens sanitaire. Les écoles vont de nouveau rapidement se muer en incubateurs du virus, et je crains une résurgence de l’épidémie dans les semaines qui suivent cette rentrée », renchérit Laura, en évoquant la deuxième vague.

A titre de comparaison, parmi les pays ayant pris la décision du confinement généralisé, seule la Chine a rouvert une partie de ses établissements scolaires, mais uniquement dans certaines villes. Dans la province du Wuhan, berceau de la pandémie de Covid-19, les élèves n’ont pas encore repris leur cursus scolaire malgré la fin progressive du déconfinement, officielle depuis le 8 avril.

Enfin, parmi les pays voisins, l’Allemagne ou l’Autriche envisagent aussi la reprise de l’année scolaire. Mais, comme pour la France, les modalités sont encore floues, et restent à établir. Pour l’instant, Jean-Michel Blanquer imagine une esquisse du paysage scolaire du 11 mai prochain : « Des petits groupes à certains moments dans la journée et que la suite se passe à distance. » Après le report du baccalauréat, un casse-tête chinois de plus pour l’Education nationale.

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Etudiant en journalisme à l'ISCPA, je suis à la recherche d'un stage de trois mois au sein d'une rédaction de presse française ou espagnole.

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