Dans sa dernière allocution aux Français, Emmanuel Macron a surpris en appelant à l’annulation de la dette des pays africains. Cet engagement pourrait à la fois répondre à l’appel à la solidarité des dirigeants africains face au Covid-19, mais aussi aider à sauvegarder les intérêts français sur le continent.
« Nous devons aussi savoir aider nos voisins d’Afrique à lutter contre le virus plus efficacement. À les aider aussi sur le plan économique en annulant massivement leur dette. Oui, nous ne gagnerons jamais seuls. » La formule fraternelle et solidaire d’Emmanuel Macron transmise hier soir à 20h a de quoi surprendre.
En réalité, ce discours fait écho à certaines prises de position sur la question. Le président sénégalais, Macky Sall, s’était exprimé la semaine dernière « pour l’annulation de la dette publique africaine et le réaménagement de sa dette privée selon des mécanismes à convenir », dans le quotidien national Le Soleil. Lors de la messe pascale au Vatican, c’était au tour du pape François de réclamer cette annulation. A croire que le FMI (Fonds Monétaire International) et la Banque Mondiale ont entendu le sermon du pape : le lundi 13 avril, ils se sont prononcés pour l’ « allégement immédiat de la dette de 19 pays africains. »
Si plusieurs acteurs partagent le même avis en faveur d’un effacement de la dette, une première difficulté structurelle se pose : la dette est répartie entre différents créanciers. La France ne détient qu’une partie de la créance publique, le reste est détenu par les autres puissances qui forment le Club de Paris (Allemagne, Russie, Japon…).
Une décision qui ne relève donc pas seulement de la France. Les pays africains possèdent aussi une dette envers des créanciers privés sur lesquels l’Etat a peu d’influence.
Serge Michailof, l’ancien directeur de la Banque Mondiale, interrogé par le Monde, émet aussi des doutes sur un effacement totale de la dette : « Je vois mal les partenaires bilatéraux accorder un effacement de la dette aux pays qui ont déjà bénéficié du PPTE (initiative en faveur des pays pauvres très endettés) au début des années 2000 », répond-t-il au quotidien.
Une opportunité partagée
La crise du Covid-19 est pourtant perçue par certains comme une opportunité de s’affranchir de cette dette qui représente 60% du PIB du continent. L’économiste et ancien ministre togolais, Kako Nubukpo y voit une opportunité de créer une « souveraineté économique pour les pays africains. » C’est aussi le cas de Eric Toussaint, économiste et fondateur du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde. Dans une tribune, il indique que les pays africains pourraient se référer aux notions juridiques « d’état de nécessité », « de changement fondamental de circonstances » et de « cas de force majeur », afin de suspendre cette dette. Pour d’autres observateurs cet engagement, trahit peut-être une volonté plus souterraine.
Pour Jean-Yves Archer, économiste et spécialiste des finances publiques, le vœu du président est pieux : « Puisque Macron est proche du CAC40, ce n’est pas impossible que ce soit une prise de position pour le groupe Bolloré qui fait des milliards avec les ports et qui risque de s’effondrer en termes d’activité, confie l’économiste. C’est possible que l’Elysée ait fait un geste pour les pays africains afin de faire tourner la machine, y compris pour d’autres exportateurs français. C’est peut-être aussi une astuce pour stopper le dynamisme chinois en Afrique. Ce qui est bizarre c’est qu’il le dise à ce moment-là. »
La réalité sanitaire de nombreux pays africains laisse présager un scénario catastrophe en termes de morts si le virus continue de se propager. Néanmoins, l’Afrique reste un terrain géostratégique capital pour les industriels. Pour Mutombo Kanyana, directeur de l’Université Populaire Africaine à Genève, l’intention se joue peut-être sur une dette symbolique : « Toutes ces phrases sont symboliques car nous sommes proche d’une catastrophe planétaire, analyse-t-il. Pour une fois, l’Europe se retrouve au même guichet que l’Afrique pour acheter des masques et des respirateurs à la Chine. Mais dès le moment où l’on va alléger la dette, les Etats occidentaux vont demander des contreparties et les pays africains ne pourront pas dire non. La crise du Covid est une opportunité pour faire des affaires. »