Décryptage

Après la crise, quel avenir pour l’éducation nationale ?

Chaque année, l’Education nationale recrute sur concours plusieurs centaines de professeurs. Mais l’épidémie de Covid-19 bouleverse le calendrier traditionnel. Face aux changements à prévoir, un recours massif aux contractuels inquiète.

Après avoir travaillé pendant un an, voire deux ans pour ceux qui repassent le concours, les étudiants sont à bout de nerfs. Le manque de communication gouvernementale ainsi que le manque de réponses à leurs inquiétudes leur fait vivre un cauchemar : ils se préparent depuis des années à devenir professeur.

C’est la deuxième année que Sophie prépare l’agrégation et le Capes de philosophie. Elle ressent aujourd’hui « beaucoup de tensions ». Avant le confinement, elle redoutait que les épreuves soient maintenues par peur que tous les candidats soient contaminés. Les étudiants travaillent toute une année pour se préparer, il était donc peu probable de les voir se retirer au dernier moment, même en cas de symptômes. « Mais en même temps, on a tellement tous travaillé que l’annulation était un choc, on était pris de court », reconnaît Sophie.

Ces étudiants qui ont consacré plusieurs années de leur vie aux concours et à leur vocation doivent maintenant faire face à une situation sans précédent. « C’est difficile de travailler de manière continue sur une longue période : plus le confinement s’étend et plus les révisions deviennent difficiles ». Heureusement, la solidarité est encore présente dans les universités. Des étudiants ont ainsi créé la Bibliothèque solidaire du confinement qui propose des ouvrages en accès libre pour pallier à la fermeture des bibliothèques universitaires.

A présent, l’anxiété est la suivante : dans quelles circonstances vont se dérouler les concours s’ils ont bien lieu ? « Si le gouvernement interdit les rassemblements de plus de 100 personnes après le confinement, alors les concours devront en toute logique être annulés », confesse Sophie. Selon le gouvernement, les concours de recrutement seront repoussés entre juin et juillet.

Un recours « massif » aux contractuels qui inquiète


Si l’Education nationale ne peut pas se passer de professeurs, il est toutefois à craindre que le ministère de Jean-Michel Blanquer décide de faire appel à des contractuels pour l’année scolaire à venir. Pierre Favre, vice-président du Syndicat national des écoles, déclare à propos des contractuels : « Pour un gestionnaire, c’est la main-d’oeuvre parfaite. C’est un personnel docile que l’on peut évacuer à tout moment et surtout qui ne coûte pas cher. »

Le nombre de contractuels est en hausse constante depuis plusieurs années. La cour des comptes chiffrait en 2018 le budget alloué aux contractuels à 3,7 milliards d’euros par an en plus de dénoncer « un recours massif » et « une tendance lourde à l’augmentation » des contractuels. Or, le salaire moyen d’un contractuel s’élève à 1030 euros par mois, contre 2400 euros pour un professeur titulaire. C’est une véritable paupérisation de la profession alors que les contractuels représentaient en 2018 plus de 20% du personnel enseignant. Cela pourrait témoigner d’une volonté politique de privatiser, à terme, l’Education nationale en réduisant le nombre de fonctionnaires qui feront barrage.

« J’ai été contractuelle pendant 11 ans avant d’être titularisée par un examen professionnel passé en interne. C’était en 2002, l’époque où le gouvernement voulait encore titulariser le vivier grandissant de contractuels », explique Yani, professeure d’anglais. Être contractuel, c’est l’assurance d’avoir les plus mauvaises classes dans les pires salles de l’établissement. La titularisation apparaît alors comme le Graal. « Quand j’étais contractuelle je ne savais pas si j’allais avoir un poste à la rentrée le plus souvent, on me contactait fin août ou début septembre. La titularisation change tout : pour la retraite, les salaires, et surtout la sécurité de l’emploi », confie Yani.

Alors que Jean-Michel Blanquer a annoncé la création de 1248 postes pour l’école primaire à la rentrée, une mesure saluée par des syndicats qui restent toutefois méfiants, le ministre n’a pas encore annoncé la nature des postes. Seront-ils ouverts aux contractuels ou à de nouvelles titularisations ? Si le gouvernement et la politique néolibérale qu’il représente sont au centre de toutes les critiques, un retour à une forme d’État-providence reste possible. La titularisation des enseignants rentrerait alors dans le cadre de cette politique sociale.

Bibliothèque de l’ENS, historiquement chargée de former les futurs enseignants de la République. Crédit : Calvin Ropers

Comment s’organiser ?

« On a un professeur de géographie qui organise des cours en ligne, mais c’est bien le seul… », déplore Géraud, étudiant à l’INSPE pour devenir professeur d’histoire. Un discours relayé aussi bien par les étudiants que par les professeurs puisque Yani déclare : « À l’université je n’ai pas eu beaucoup de retour des étudiants, mais l’administration était aussi mal organisée puisqu’on a eu les adresses mails des étudiants seulement après deux semaines de confinement. » C’est l’Education nationale qui n’a pas su anticiper la crise sanitaire qui s’abattait sur la France.

Le travail des élèves à distance pose de nombreux soucis que ce soit aux professeurs ou aux élèves ; il est un révélateur des disparités sociales qui gangrènent le pays. « Dans mon collège, si les enfants ne se connectent pas pour suivre les cours en ligne c’est souvent par défaut de matériel. À travers les élèves nous sommes témoins de la paupérisation de la banlieue parisienne », révèle Yani. Des élèves parfois en situation d’échec scolaire qui doivent alors faire face à leur propre misère sociale dans cette crise sans précédent. Le travail à distance accroît encore un peu plus les inégalités dans une méritocratie en perte de vitesse.

Dans de nombreux foyers, un seul ordinateur est à disposition des membres de la famille. Bien souvent, les parents en télétravail sont prioritaires, relayant malgré eux l’éducation de leurs enfants au second plan. Face à la crise, l’Education nationale à devant elle de nouveaux défis à relever. Au lieu d’une politique à court terme représentée par l’utilisation massive de contractuels, l’État devra assurer la pérennisation de son Education nationale, dernière garante de la méritocratie libérale.

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Diplômé de l'École Normale Supérieure en philosophie contemporaine, cherche à comprendre pour mieux informer.

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