Décryptage

Travail : Le code a changé

Afin de « donner des instruments de souplesse aux entreprises », le ministère du Travail a décidé de faire sauter quelques digues sociales en matière de durée de travail notamment. Quitte à s’asseoir sur les droits des salariés ?

Emmanuel Macron l’a martelé tout au long du mois de mars, regard déterminé et rhétorique belliqueuse à l’appui : la France est en état de « guerre » sanitaire. Union sacrée oblige, toutes les forces de la nation doivent ainsi se mobiliser dans un effort global de maintien de la pérennité économique de la patrie.

Un arsenal de mesures dites « d’exception » a en ce sens été déployé. Toutes adoptées au pas de charge par l’Exécutif, sans contrôle parlementaire, via une série d’ordonnances. La locomotive « France », qui subit actuellement un sérieux coup de frein (6% de récession), se doit de rester sur les rails de la croissance, et ce même en cas de forts vents contraires.

La plus symbolique de ces ordonnances ? L’employeur peut désormais imposer à ses employés un allongement drastique (+25%) de leur durée de travail hebdomadaire. Valérie Gilbert, juriste du droit du travail, souligne la dimension européenne de la démarche de l’Exécutif : « Avant les ordonnances, le Code du travail prévoyait une durée maximale d’activité s’élevant à 48 heures par semaine. Aujourd’hui, on a allongé cette durée à 60 heures dans certains secteurs jugés nécessaires à la survie de la nation, comme les transports ou l’agroalimentaire. Ce chiffre n’a pas été pris au hasard par le gouvernement. C’est en effet la limite définie par le droit de l’Union Européenne. »

Les syndicats sont vent debout contre cette nouvelle attaque au Code du Travail : Manu Blanco, dirigeant de la CGT, craint une « déréglementation du travail, malgré le caractère temporaire des ordonnances, qui conduirait à un engrenage défavorable aux salariés. » Cyril Chabanier, président de la CFTC, s’inquiète également auprès des médias : « Dans des domaines comme l’agroalimentaire ou le transport routier, travailler aussi longtemps peut entraîner un risque pour les salariés. »

Les ordonnances du président « thaumaturge »

Cette dérogation n’est que le prélude d’une litanie de coups de canif assénés au code de Travail, véritable parade nuptiale destinée à la droite et au MEDEF. L’on peut établir un inventaire non exhaustif de ces mesures sournoises : une durée quotidienne maximale de travail qui s’étend désormais à douze heures, contre dix auparavant, un temps de repos compensateur entre deux jours de travail abaissé à neuf heures… Le sacro-saint repos dominical, sur la sellette depuis de nombreuses années (on se souvient du passage de 5 à 12 dimanches travaillés sous la férule de Macron à Bercy), fait lui-même l’objet d’un lifting. Il peut maintenant être contourné par certaines entreprises de secteurs considérés de première nécessité, comme l’alimentation, les télécoms ou les transports.

Le salarié délèguera même à son employeur, omnipotent durant l’état d’urgence sanitaire, le soin de lui aménager ses périodes de repos. Concernant les congés payés : « La période n’excèdera pas les six jours ouvrables. Et cette décision devra être approuvée par un accord d’entreprise ou un accord de branche, et respecter un préavis d’un jour franc, rappelle la juriste Valérie Gilbert. En revanche, pour les autres types de jours de repos, comme les RTT (Réduction Temporaire de Travail) ou CET (Compte Epargne-Temps), les accords collectifs ne font plus foi. L’employeur peut ainsi, unilatéralement, imposer une prise de RTT, le plafond étant fixé à dix jours ouvrables. »

Seule note positive de cette mélodie, le caractère temporaire de cet assouplissement du droit du travail est -pour l’instant- inscrit dans les ordonnances.  « Ces mesures prises par ordonnances ne sont pas appelées à rester définitives, les textes prévoyant une application à une date maximale fixée au 31 décembre 2020, nuance Valérie Gilbert. Cependant, le gouvernement, titulaire de ce pouvoir en vertu de l’article 38 de la Constitution relatif aux ordonnances, peut tout à fait envisager de prolonger ces ‘lois d’exception’, qui n’en auraient plus que le nom. »

Ainsi, selon de nombreux membres de l’opposition, politique ou citoyenne, il ne faudrait pas se laisser berner par ces flagorneries destinées au grand patronat. La crise sanitaire offrirait de facto une occasion idoine au patronat d’obtenir les « souplesses » qui ne leur avaient pas été accordées jusque-là, afin d’éviter le dialogue social au mépris des droits du travailleur. La pression sera extrêmement forte pour pérenniser ces nouveaux « acquis patronaux » de l’état d’urgence sanitaire, une fois que la « guerre » contre la pandémie aura officiellement muté en guerre pour la relance de l’économie. 

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Etudiant en journalisme à l'ISCPA, je suis à la recherche d'un stage de trois mois au sein d'une rédaction de presse française ou espagnole.

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