Dans le secteur agricole, le manque de main d’œuvre saisonnière se fait ressentir. Le ministère de l’Agriculture a donc décidé de mettre en place une plateforme de recrutement pour aider les agriculteurs. Mais va-t-elle réellement soutenir les producteurs ou s’agit-il d’un coup de communication ?
Avec la fermeture des frontières, les saisonniers étrangers habituellement recrutés en cette période de récolte, sont dans l’obligation de rester dans leurs pays respectifs afin de limiter la propagation du coronavirus. Sauf que les exploitants agricoles ont besoin de cette main d’œuvre pour assurer leur récolte. Le ministère de l’Agriculture, à l’initiative de son ministre, Didier Guillaume, et du vice-président de la FNSEA, Luc Smessaert, a décidé de créer le 24 mars une plateforme de recrutement, « Des bras pour ton assiette », pour venir en aide aux exploitations agricoles.
Actuellement, environ 240 000 candidats et 5 000 agriculteurs-recruteurs se sont inscrits sur le site. Cet écart peut paraître énorme, mais Fabien Joffre, président de la FDSEA en Dordogne, précise que « chaque exploitant a besoin d’un nombre suffisant de personnes pour effectuer une saison de récolte. On tourne environ autour des 30 à 40 saisonniers pour une exploitation, notamment pour le ramassage des fraises. »
Malgré cette initiative ministérielle, certains agriculteurs n’y trouvent pas leur compte : « Certains candidats n’ont pas les conditions physiques pour travailler dans une ferme, indique Sébastien Heraud, vice-président du syndicat Coordination Rurale de Dordogne et président du Comité régional Interfel de Nouvelle-Aquitaine. Ils ne se rendent pas compte de la charge de travail qu’il y a derrière. Il y a une bonne volonté de ces personnes, mais chez nous ce n’est pas ‘Martine à la ferme’. » Pour certains domaines agricoles, il est nécessaire d’avoir un minimum de qualifications et un savoir-faire avéré pour manier certains fruits et légumes, qui sont plus ou moins fragiles lors de la récolte.
Avec l’annonce d’un possible prolongement du confinement, des producteurs ont fait remonter à la FDSEA de Dordogne, qu’une majorité de ces candidats ne pourront pas être présent durant toute la période de récolte. « Certains travaillent pendant 3 semaines, mais quand ça sera la fin du confinement, ils vont tous retrouver leur métier, précise Fabien Joffre. C’est un inconvénient pour les producteurs, car ils préfèrent travailler avec une main d’œuvre étrangère qui reste toute une saison. » Une main d’œuvre qui représente tout de même 80 % de saisonniers étrangers.
Une plateforme qui partage les agriculteurs
Lors de l’ouverture du site internet, le ministre de l’Agriculture a expliqué que les différents candidats inscrits seraient répartis dans trois secteurs : l’agriculture, l’agro-alimentaire et la logistique. Néanmoins, cette idée de répartition ne réjouit pas une partie des exploitants agricoles. « Le ministère de l’Agriculture est entièrement capable de favoriser l’agro-alimentaire. Ce qui me dérange, c’est que l’agro-industrie peut très bien trouver du personnel français, fustige Sébastien Heraud. Même s’il y a une tonalité de saisonnalité, le travail n’est pas aussi ardu que la récolte dans les champs par exemple. »
Mais il ne faut pas mettre en opposition toutes les grandes exploitations, comme celles qui récoltent du blé, et les industries agroalimentaires, qui transforment les produits issus de l’agriculture. « Les exploitations agricoles ont besoin d’entreprises agro-alimentaires, comme celles qui ont des élevages, précise Fabien Joffre Pour produire de la viande, il faut aller à l’abattoir, puis passer à la découpe et enfin l’emballer pour la vendre ensuite. S’il manque un maillon c’est toute la chaîne qui tombe. »
De leur côté, l’organisme Interfel a donc décidé de mettre en place un dispositif de transfert de salariés avec l’interprofession française de l’horticulture, Val’hor, afin que ces derniers du domaines horticoles aillent sur les domaines agricoles des fruits et légumes. Les horticulteurs se trouvent dans une impasse et ne peuvent plus produire à cause de la crise sanitaire.
Cependant, tous les corps agricoles se rejoignent sur un plan : il n’y aura pas de pénurie alimentaire. Le ministre de l’Agriculture l’affirme encore ce 8 avril : « Je dis aux Français : achetez des produits frais, des légumes, des produits lactés pour encourager celles et ceux qui travaillent. » Effectivement, les Français vont revenir à l’essentiel dans leur consommation alimentaire. Néanmoins, s’il y a un manque trop important de saisonniers dans les champs, comment la population pourra-t-elle consommer local ? « Aujourd’hui, les centrales d’achat sont en train, par exemple, d’acheter de la fraise espagnole pour compléter le manque de fraises françaises, précise Sébastien Heraud. Etant donné qu’on manque de main d’œuvre dans ce secteur, il y a donc moins de production. »
Aides financières pour les situations instables
Comme elle existe pour les autres métiers, les agriculteurs peuvent bénéficier d’une aide financière de l’Etat, à partir de 70 % de baisse de leur chiffre d’affaire. La FDSEA de la Dordogne affirme qu’il y en a très peu actuellement dans leur département, car 80 % des marchés de producteurs sont encore ouverts et que les ventes n’ont pas énormément baissé. En effet, le département périgourdin affiche encore un taux très faible de contaminations au coronavirus. L’Agence Régionale de Santé (ARS) confirme aujourd’hui un total de 68 personnes contaminées par le Covid-19.
Mais reste la question des 350 milliards d’euros qui ont été débloqués par le gouvernement pour l’économie française. « Le problème c’est qu’on va avoir une baisse de revenus. Comme par hasard, l’Etat, avant le Covid-19, n’avait pas d’argent pour les hôpitaux et les agriculteurs. Et là il débloque des milliards. On se moque de nous », conclut Sébastien Heraud.
Avec la création de cette plateforme, les avis sont par conséquent divisés chez les producteurs. Mais Didier Guillaume continue d’y croire et clame aux Français : « Rejoignez la grande armée de l’agriculture française. » Une phrase déterminante qui lui a coûté des critiques cinglantes de la part de l’opinion publique. Il reste donc du chemin à faire pour que tout le monde y trouve son compte.
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