Santé

Comment expliquer la pénurie de médicaments ?

Les services de réanimation, surchargés, s’apprêtent à gérer une pénurie majeure de médicaments, laquelle reconditionnera indubitablement les conditions de traitement des patients.

L’alerte avait été lancée dès le 31 mars. Le même jour, dans un communiqué, une quarantaine de médecins et directeurs d’établissements français et d’autres pays européens appelèrent leurs dirigeants respectifs à collaborer pour garantir la distribution des médicaments à l’échelle du continent. Les 9 principaux hôpitaux européens témoignaient d’ores et déjà de leur vive inquiétude concernant l’évolution des stocks de médicaments essentiels au traitement des patients dans les services de réanimation : « Nous serons bientôt à court de médicaments essentiels pour traiter les patients atteints du Covid-19, hospitalisés en unité de réanimation. »  Leur prédication est désormais empreinte d’une terrible réalité : l’échéance se rapproche.

Tous les hôpitaux, qu’ils appartiennent au parc public ou privé, y sont désormais confrontés. À des degrés divers, certes, mais l’échéance tant redoutée n’est repoussée que de quelques jours ou de quelques semaines en fonction des établissements. Tous les stocks de médicaments, qu’il s’agisse de molécules hypnotiques, de puissants antidouleurs ou de produits paralysants tels que les ampoules de curare, s’épuisent inexorablement. « Certains stocks de médicaments, comme les curares, les sédatifs ou les antibiotiques, sont en situation très tendue, explique Bruno Megarbane, chef du service de réanimation médicale et toxicologique de l’hôpital Lariboisière (hôpital de l’AP-HP, à Paris). Bien que notre service n’ait jamais manqué de médicaments, nous observons attentivement l’évolution des stocks. » Il précise : « Tous les matins, je reçois une fiche qui nous indique quels sont les médicaments en tension. » Une question d’importance se pose dès lors. Quelles sont les causes de cette pénurie ?

La pénurie est liée à la nature-même du marché pharmaceutique

La pénurie actuelle de médicaments ne se limite pas à la France, ni à l’Europe. Le monde entier y est confronté (hormis la mince poche de pays asiatiques ayant remarquablement bien géré la crise). Cette pénurie mondiale s’explique par une loi économique élémentaire : celle de l’offre et de la demande. La consommation mondiale de ces médicaments a été multiplié par 20, comme le rappelait récemment le Premier ministre français, Édouard Philippe. En conséquence, l’offre peine à suivre la demande et la Chine, premier producteur et exportateur mondial de médicaments, parvient difficilement à fournir des médicaments en quantité nécessaire aux pays en manque.

Le marché pharmaceutique est un marché de nature oligopolistique, c’est-à-dire un marché se caractérisant par un faible nombre d’offreurs. La part de la production européenne continue de décroître, au profit de l’Asie. La nature de ce marché et les évolutions que celui-ci a connu expliquent en grande partie la pénurie mondiale de médicaments. Jusque dans les années 1970-1980, la plupart des médicaments et des principes actifs les composant étaient produits en Europe. Afin de réduire les coûts de production, de nombreuses entreprises pharmaceutiques ont délocalisé leurs laboratoires et usines en Inde, puis en Chine.

Ainsi, les deux pays concentrent 61% des sites de production de substances actives et les médicaments sont souvent produits par un ou deux fournisseurs, ce qui renforce la nature oligopolistique de ce marché. Ce rappel explique pourquoi la Chine est actuellement le premier producteur et exportateur mondial de médicaments, et permet de mieux comprendre notre forte dépendance envers l’Empire du Milieu. Tout le secteur pharmaceutique européen en paie aujourd’hui le lourd tribut, la pénurie de médicaments s’ajoutant à celle des masques et des appareils respiratoires.

Les pénuries de médicaments induites par les relocalisations stratégiques des industries pharmaceutiques ont par ailleurs déjà causé de nombreuses carences au cours de la dernière décennie. Ainsi, selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), en dix ans, près de vingt fois plus de ruptures de stock ont été signalées, leur nombre passant de 44 en 2008 à 871 en 2018.

La solidarité, seul remède efficace pour faire face à la pénurie

Les solutions à un problème de cette nature et de cette ampleur sont très difficiles à trouver. Certains médecins plaident en faveur de l’utilisation de médicaments alternatifs. Toutefois, leur efficacité reste à prouver et cette solution n’est valable qu’à court terme. Si bien que la solidarité entre les hôpitaux semble être la seule solution viable à moyen et long terme. Encore faut-il que la confiance entre les établissements ne soit pas rongée par le vent de panique accompagnant la pénurie de médicaments. Certains centres hospitaliers refusent en effet de prêter main forte à leurs confrères, soucieux de préserver leurs stocks. Il va pourtant bien falloir que les hôpitaux disposant de stocks importants soient enclins à les fournir aux services de réanimation surchargés, et en manque crucial de médicaments, sans quoi certains patients ne pourront tout simplement pas être traités et des choix éthiques s’imposeront. Espérons ne pas en arriver là.

Le degré de solidarité intra-étatique et inter-étatique conditionnera les conditions de traitement des patients admis au sein des services de réanimation. Dans le temps de l’après-crise, il sera néanmoins indispensable que les dirigeants des grands groupes pharmaceutiques réalisent la nécessité de relocaliser leurs industries et laboratoires en France et en Europe. Car, si cela n’est pas fait, les pénuries de médicaments se multiplieront à l’avenir car nous serons, hélas, encore trop dépendants du marché pharmaceutique asiatique.

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Étudiant en troisième année, je suis particulièrement intéressé par les sujets : politique, géopolitique et économie.

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